Il suffit de regarder une page de publicité à la télé ou quelques ads sur Instagram pour constater que, subitement, toutes les marques semblent vouloir notre bien. Elles veulent nous aider à devenir plus écolo, plus productifs, mieux dormir, avoir une sexualité épanouie, affirmer notre personnalité ou mieux prendre soin de notre santé mentale.

Si nous nous sommes habitués à ces discours vertueux, il est essentiel de comprendre qu’il s’agit d’un phénomène relativement récent.

En réalité, si des marques comme Danone affirment aujourd’hui vouloir “nourrir la planète”, il y a dix ans, leur communication était beaucoup plus pragmatique, centrée sur les caractéristiques des produits ou les besoins primaires.

Il en va de même pour les artistes. Taylor Swift, par exemple, transforme chaque lancement d’album en une déclaration sur telle ou telle cause sociétale ou un problème spécifique. Il y a dix ans, elle se contentait d’écrire des chansons sur ses déboires amoureux.

Alors, pourquoi les marques et les artistes adoptent-ils soudainement cette posture, comme s’ils étaient habités par une mission altruiste visant à œuvrer pour notre bien commun ?

Nous vivons dans un monde nouveau, traversé par des défis complexes. Les solutions du passé ne fonctionnent plus, la religion a perdu de son influence, et les politiques ont failli, mandat après mandat. Dans ce contexte, nous sommes tous un peu perdus, à la recherche de nouvelles réponses – et les marques l’ont bien compris.

Leur objectif : transformer leurs produits, les réinterpréter émotionnellement comme des moyens d’agir.

Qu’il s’agisse de promouvoir la diversité, d’adopter des pratiques respectueuses de l’environnement ou de proposer des produits qui donnent un sens aux choix de vie, les marques redoublent d’efforts pour apparaître comme des acteurs du bien commun. Mais cette quête de vertu n’est pas qu’un simple effet de mode : elle s’inscrit dans une évolution profonde de nos attentes en matière de consommation.

Pour comprendre ce phénomène, il est intéressant de revisiter un concept fondamental de la psychologie humaine : la pyramide des besoins de Maslow. Jonah Sachs, dans son livre “Winning the Story Wars”, propose une relecture fascinante de cette théorie en l’appliquant aux stratégies de storytelling des entreprises modernes. Et si les marques, en cherchant à être vertueuses, répondaient à un besoin humain bien plus profond qu’il n’y paraît ?

Voici comment Sachs transforme la pyramide de Maslow pour expliquer pourquoi les entreprises misent désormais sur des récits qui aspirent à l’écologie, l’inclusion et la quête de sens. Voici une explication détaillée de ce concept de pyramide inversée :

1. La pyramide classique de Maslow : une hiérarchie ascendante

Dans la théorie classique :

•Les besoins physiologiques et de sécurité (nourriture, abri, stabilité) sont les fondations de la pyramide. Ils doivent être satisfaits avant que l’on puisse chercher à combler des besoins plus élevés comme les besoins sociaux, d’estime ou d’accomplissement personnel.

•C’est une progression logique : on commence par la survie avant de s’occuper de sa quête de sens.

2. La critique de Sachs et l’idée de pyramide inversée

Sachs observe que, dans le monde moderne, les consommateurs sont saturés de messages marketing basés sur les besoins inférieurs (physiologiques et sécuritaires). Les marques jouent souvent sur :

•La peur de manquer.

•La promesse de confort, de sécurité ou de facilité.

Cependant, dans une société de consommation où la plupart des besoins de base sont satisfaits (du moins dans de nombreux pays développés), ces messages perdent de leur impact. Sachs propose donc d’inverser la pyramide pour commencer par les niveaux supérieurs, en particulier la réalisation de soi, pour engager profondément les publics.

3. Pyramide inversée : mettre les besoins supérieurs en priorité

Dans la version inversée de Maslow :

1.Réalisation de soi (Sommet classique) devient la base :

•Les gens recherchent des histoires qui donnent du sens à leur vie, qui les inspirent ou les connectent à des idéaux élevés.

•Le storytelling doit répondre à des aspirations spirituelles, créatives ou altruistes.

•Exemple : Une marque comme Patagonia met l’accent sur la préservation de la planète, incitant ses clients à devenir des acteurs du changement.

2.Besoins d’estime et sociaux (Niveaux intermédiaires) :

•Les récits doivent montrer aux gens qu’ils font partie d’une communauté ou qu’ils peuvent gagner en respect et reconnaissance grâce à leurs choix.

•Exemple : Nike célèbre le dépassement personnel et invite ses clients à se voir comme des athlètes.

3.Besoins physiologiques et de sécurité (Base classique) deviennent le sommet dans la pyramide inversée :

•Ces besoins sont abordés en dernier, comme une conséquence naturelle des niveaux supérieurs.

•Exemple : Une publicité pour un smartphone haut de gamme ne se concentre pas uniquement sur ses fonctions techniques (sécurité, utilité), mais sur la manière dont il peut vous aider à capturer des souvenirs précieux ou à exprimer votre créativité.

4. Pourquoi inverser la pyramide ?

Sachs explique que cette approche est essentielle pour :

Différencier les marques dans un marché saturé.

•Répondre aux aspirations profondes des consommateurs modernes, qui veulent des récits porteurs de sens.

•Créer un lien émotionnel et durable avec le public.

En se concentrant sur les niveaux supérieurs dès le départ, les récits deviennent plus inspirants et connectés aux désirs profonds des consommateurs.

5. Exemples concrets de storytelling avec la pyramide inversée

Apple : Ne vend pas des produits utilitaires (besoins de sécurité ou physiologiques), mais propose un récit autour de la créativité, de l’innovation et de la transformation du monde (réalisation de soi).

TOMS Shoes : Leur storytelling met en avant leur impact social : pour chaque paire achetée, une paire est donnée à une personne dans le besoin. Cela répond au besoin d’appartenance et d’altruisme.

Conclusion : le storytelling comme moteur de transformation

La pyramide inversée de Maslow, selon Sachs, montre que le storytelling efficace aujourd’hui doit commencer par le sommet de la pyramide classique : les besoins d’accomplissement, d’identité et de communauté. Cela aide les marques à captiver un public en quête de sens, plutôt qu’à simplement répondre à des besoins matériels ou basiques.