Vous est-il déjà arrivé d’écouter un orateur, en entreprise, lors d’une conférence ou à la télé, et de vous demander si l’orateur.trice maîtrisait vraiment le sujet, et surtout s’il/elle avait réellement des solutions à apporter aux problèmes exposés ?
En tant qu’experts de la prise de parole, il peut nous être parfois difficile d’assister à des conférences ou suivre des discours politiques, journalistiques ou juste marketing, tant certaines techniques utilisées par les orateurs.trices, dénoncent de façon flagrante à nos yeux, soit des marqueurs idéologiques et des interêts sous-jacent évidents, soit une tendance à évoquer des problèmes sociaux ou des aspirations sociétales, sans réelle capacité à produire des solutions, à la hauteur des sujets complexes évoqués.
La façon de conclure une prise de parole est souvent un très bon indicateur de la qualité des solutions que l’on nous présente à l’oral et, en réalité, les techniques utilisées par la plupart des orateurs.trices deviennent aujourd’hui de plus en plus prévisibles, et finissent par dénoncer souvent un manque flagrant de solutions.
En voici trois exemples :
1. « il faut souffrir pour être beau/belle » :
La première façon de conclure un discours, largement utilisée notamment par les coachs motivationnels et certains politiciens de nos jours, consiste à insister sur le fait que face à certains défis que l’on rencontre tous, tels que la quête du bonheur, les échecs personnels ou professionnels, le manque de pouvoir d’achat, les faibles performance comparatives, etc… si l’on ne réussi pas dans la vie, c’est parce que l’on ne s’efforce pas assez.
Selon ces orateurs.tricesn il faudrait toujours davantage de concentration, de travail, d’effort, voire même de capacité à consentir à une part de privation et de souffrance, pour atteindre ce qui est désirable en société.
Cette approche, nommée l’Euristique de l’effort ou de la douleur, est souvent utilisée lorsque les orateurs.trices n’ont pas de réelles solutions à apporter, et c’est donc une façon de renvoyer les individus à leur responsabilité individuelle et à leur culpabilité chrétienne.
Selon eux, ce n’est pas que le bonheur, le pouvoir d’achat, le capital, ou les performances rémunératrices soient inaccessibles parce qu’accaparés par certains qui s’organise pour y avoir accès de façon privilégiée. Le monde est tout à fait juste, et il suffirait de s’efforcer davantage pour réussir .
Cette vision promeut ainsi l’idée que chacun peut réussir s’il s’en donne les moyens, légitimant les privilèges des uns et les efforts exigés aux autres.
Vous l’aurez compris, si l’importance de l’effort personnel n’est pas à nier, cette technique occulte largement l’importance des environnements individuels, de la qualité de l’éducation reçue, du capital symbolique et culturel hérité, ainsi que de l’accès différencié aux opportunités et aux privilèges, en fonction des origines sociales et des parcours de vie de chacun.
Par ailleurs, toutes les capacités ne sont pas valorisées ou rémunérées de façon « juste » ou universelle. On ne naît pas tous avec les mêmes capacités et on n’est pas responsables du fait que la distribution des nos capacités ne soit pas toujours congruente avec le système de valeur marchande, notamment.
2. « Tous coupables » :
Cette deuxième façon de conclure un discours est également, largement utilisée de nos jours, notamment sur des questions environnementales ou liées à l’égalité hommes-femmes. Elle consiste à affirmer que, face à des problèmes sociétaux complexes, nous sommes tous coupables de la même façon, soit directement, soit par notre inaction, par exemple.
Cette technique s’apparente à un relent de dogme religieux, rappelant ainsi les discours d’antan, évoquant les fléaux comme des punitions divines.
En affirmant que tout le monde est coupable de la même manière, cette approche essentialise la culpabilité, évitant ainsi de mentionner les privilèges et les responsabilités qui en découlent, l’usage du pouvoir qui est limité à ceux seuls qui peuvent en jouir et l’accès aux ressources, qui est on ne peut plus disparates, en fonction des individus.
Ainsi, cette méthode permet d’éviter de remettre en question les structures de pouvoir et les inégalités qui perpétuent les injustices. Elle détourne l’attention des véritables sources des problèmes en érigeant la culpabilité en principe universel.
Plutôt que de reconnaître les inégalités systémiques et les structures de pouvoir qui perpétuent les injustices, cette approche égalitariste nie les privilèges et les avantages dont certains groupes bénéficient au détriment d’autres.
On n’a en effet pas du tout le même impact sur le réchauffement climatique, si l’on est actionnaire/dirigeant d’une société d’hydro carbures que si l’on est à la caisse de la pompe à essence de cette même entreprise, par exemple.
3. « On a tous un rôle à jouer » :
La troisième façon de conclure un discours, qui dénonce le manque de solutions de l’orateur.trice, suit la même logique que la précédente. On la retrouve beaucoup trop souvent dans les discours écologiques, notamment et consiste à affirmer que face à certains défis, certaines menaces, chacun de nous a un rôle à jouer.
Cette approche trouve ses origines dans les écrits d’Anthony Giddens notamment, un promoteur de ce qu’il appelle « the small pictures ». Selon lui, c’est en modifiant nos comportements individuels au quotidien – par exemple, en participant à la production d’un jardin potager, en triant ses déchets, en économisant l’eau de la douche – que nous pouvons contribuer au changement.
Si les petits gestes du quotidien restent importants dans la lutte contre le réchauffement climatique, par exemple, le fait de concentrer la recherche d’explications et de solutions dans ces seuls petits gestes du quotidien individuels et autonomes, c’est surtout une façon d’éviter de penser les origines du problème et d’éluder la question des grandes forces agissantes.
L’origine du problème tout d’abord, car pointer du doigt les consommateurs pour leur consommation de produits polluants, sans restreindre la promotion de ceux-ci, taxer les profits qui en découlent, ni légiférer sur les conditions de leur commercialisation, c’est une absurdité, et une façon de transférer la responsabilité, qui se doit être dénoncée.
Mais, il est n’est pas moins important de reconnaître que tous ces défis ne sont pas solubles au niveau individuel. Nous n’avons pas tous la même responsabilité ni la même capacité à agir ou influencer ces défis.
Les études démontrent, par exemple, que seuls 10 à 20 % de notre capacité à agir contre le réchauffement climatique dépendent des actions individuelles quotidiennes.
Ainsi, l’idée que chaque geste compte et que nous avons tous la même responsabilité contribue à masquer la réalité des inégalités sociales, une fois de plus, et surtout d’accès au pouvoir d’agir de certains.
Certaines personnes sont éduquées ou éducables, d’autres le sont moins, une minorité jouit d’un pouvoir économique, politique, médiatique, et donc de plus de responsabilité dans la résolution de ces enjeux, d’autres non.
On ne pollue, par exemple, pas tous de la façon si l’on est en haut ou en bas de la pyramide. Si on finance que si on execute, si on promulgue des lois que si on les applique, si on promeut des produits que si on les consomme.
Le « chacun a un role à jouer » c’est une façon de noyer le poisson de la culpabilité. Lorsque l’on défend que le changement doit passer par les petits gestes du quotidien, en responsabilisant individuellement les individus on confine à l’inaction (c’est peut-être le but…). Si tout le monde à son rôle à jouer d’une façon égale, alors il faudrait espérer une prise de conscience collective et une capacité à agir sans concertation, qui est une idée pour le moins infantile, mais dénonce surtout, dans tous les cas, un manque de compréhension des mécanismes de l’action collective évident.
En réalité, les individus ne changent pas le monde, seuls les mouvements verticaux, collectifs, organisés peuvent y parvenir, et Yuval Harari dans son livre Sapiens, l’explique assez bien.
Les grandes avancées sociales (fin de l’esclavagisme, sécurité sociale, droits du travail, congés payés…) n’ont pas été acquises à coup de petites initiatives individuelles qui auraient converti progressivement tout un peuple, et qui auraient fait émerger un consensus populaire. Mais à l’inverse on les tient de luttes collectives organisées, politisées, financées, diffusées largement, et même de conflits, de luttes armées avec un cout économique et humain conséquent.
Si bien que pour changer l’opinion d’une seule personne il nous faut simultanément changer la conscience de millions de gens, ce qui n’est pas facile.
Un changement d’une telle ampleur ne peut se faire qu’avec le concours d’une organisation complexe, un état, un parti politique, un syndicat, un mouvement idéologique, un lobby, un média, un réseau social, une plateforme de streaming ou un culte religieux (et souvent la combinaison de plusieurs d’entre elles).
Cela demande de l’énergie, mais surtout de l’organisation et de l’argent, beaucoup d’argent.
Il est donc essentiel de fuir cette approche simpliste, qui ignore une fois de plus les rapports sociaux et économiques sous-jacents, et qui ne tient pas compte des disparités de pouvoir et d’influence et qui fini par accabler l’énorme majorité des individus qui subit une organisation politique, économique, financière, géopolitique et médiatique, sans réelle capacité à agir.
Pour conclure, apprendre à identifier ces 3 techniques est une bonne façon de ne plus être dupe de ce jeu politico médiatique, d’arrêter cet accablement qui nous fait culpabiliser et d’éviter d’entrer dans des débats qui n’ont vocation qu’à opposer les individus et éluder l’origine des problèmes.
Michael Dias
Fondateur de Spitch, Voyageur, Storyteller, Speaker, Coach de Dirigeants et grand passionné de Présentations.
Retrouvez-moi sur Linkedin