Dans notre société contemporaine, l’indignation est devenue un outil puissant pour capter l’attention et susciter l’engagement, notamment sur les plateformes numériques. Les réseaux sociaux, en particulier, exploitent cette émotion pour maximiser l’interaction des utilisateurs. Selon le Conseil national du numérique, l’économie de l’attention s’appuie sur des techniques qui sollicitent en continu nos réactions en ligne, exploitant nos biais cognitifs et nos émotions pour prolonger notre engagement (cnnumerique.fr).
Des études philosophiques ont également analysé le rôle de l’indignation dans la régulation sociale. Frédéric Minner, dans son article « L’indignation : ses variétés et ses rôles dans la régulation sociale », souligne que l’indignation, définie comme une émotion douloureuse face à des torts injustifiés, peut être partagée et devenir une émotion collective influençant les normes sociales (philarchive.org).
Ces analyses montrent que l’indignation n’est pas seulement une réaction spontanée, mais qu’elle est souvent utilisée intentionnellement pour capter l’attention et encourager l’engagement, que ce soit dans les médias, la politique ou le marketing. Nous allons maintenant explorer les différentes façons dont cette émotion est exploitée pour influencer l’opinion publique et orienter les comportements.
1. Déformation de l’information pour susciter l’indignation
L’une des premières stratégies consiste à manipuler l’information de manière à ce qu’elle manque délibérément de précision. En tronquant certains faits ou en omettant des éléments de contexte, on génère une perception d’injustice qui incite à réagir. Cette manipulation joue sur notre tendance naturelle à vouloir rétablir la part de vérité manquante, ce qui nous pousse à partager, commenter et débattre.
Les réseaux sociaux sont particulièrement propices à cette technique, car les algorithmes favorisent les contenus qui génèrent des réactions fortes. Ainsi, une information incomplète et tranchée sera davantage mise en avant qu’une explication détaillée et nuancée.
➡ Exemple : Les médias traditionnels et les réseaux sociaux regorgent d’exemples où un fait isolé est mis en lumière sans prendre en compte l’ensemble du contexte, créant une réaction de rejet ou d’indignation de la part du public. Ce phénomène est souvent observé dans les discours politiques, où des faits sont volontairement présentés de manière tronquée pour susciter une réaction immédiate.
2. Exploitation des débats moraux et des sujets émotionnels
Une autre technique consiste à orienter le discours autour de notions de bien et de mal, en exploitant des thématiques hautement émotionnelles :
- Injustices sociales (précarité, inégalités salariales, discriminations)
- Causes orphelines (sujets peu médiatisés mais profondément injustes)
- Souffrance des minorités (violences policières, droits LGBTQ+, racisme, etc.)
- Catastrophes environnementales ou humanitaires
L’intérêt de ces thématiques est qu’elles touchent directement aux valeurs et aux principes des individus. Elles provoquent donc une réaction immédiate, souvent impulsive.
3. La figure de la victime comme levier émotionnel
L’utilisation de la figure de la victime est une technique courante pour générer l’indignation. En mettant en avant une personne ou un groupe vulnérable, on maximise l’impact émotionnel et l’empathie du public. Cette approche repose sur trois mécanismes psychologiques :
- L’identification : plus la victime semble proche de nous, plus nous ressentons son injustice.
- L’injustice manifeste : une victime sans défense suscite naturellement la colère contre un coupable désigné.
- Le besoin de réparation : l’indignation pousse à l’action pour corriger cette situation perçue comme inacceptable.
➡ Exemple : Dans son livre « La Stratégie de l’émotion », Anne-Cécile Robert explique comment la figure de la victime est omniprésente dans les médias et le discours politique, car elle permet d’éviter le débat rationnel. On ne peut pas contredire une victime sans paraître insensible ou complice du mal.
4. L’indignation partagée pour renforcer un message collectif
L’indignation devient encore plus puissante lorsqu’elle est partagée par un groupe. En mobilisant un collectif autour d’une cause, on génère un effet de renforcement mutuel, où chaque individu se sent légitimé par l’indignation des autres. Ce phénomène est particulièrement visible dans :
- Les mouvements sociaux et manifestations
- Les pétitions et campagnes de boycott
- Les hashtags viraux sur les réseaux sociaux
Ce type d’indignation collective peut aussi être exploité par des partis politiques ou des groupes d’intérêts pour manipuler l’opinion et mobiliser des foules à des fins stratégiques.
5. Indignation et influence sur les comportements d’achat
Enfin, l’indignation est devenue un levier marketing puissant. Certaines marques utilisent la dénonciation d’injustices pour :
- Valoriser une image éthique et responsable
- Se positionner contre des pratiques controversées
- Encourager les consommateurs à choisir leurs produits par engagement moral
À l’inverse, certaines entreprises ont été victimes d’un bad buzz à cause d’une campagne mal perçue ou d’un scandale (travail des enfants, pollution, discriminations), entraînant des boycotts massifs basés sur l’indignation des consommateurs.
Conclusion : L’indignation, une arme à double tranchant
L’indignation est un outil puissant, capable de mobiliser autant que de manipuler. Son exploitation massive dans l’économie de l’attention révèle à quel point nos émotions sont devenues un produit monétisable, savamment optimisé par les médias, certaines marques et les acteurs politiques pour capter notre engagement et orienter nos perceptions.
Si l’indignation peut jouer un rôle positif en révélant des injustices et en suscitant des mobilisations, elle comporte aussi des risques majeurs. En polarisant les débats, en fragilisant l’esprit critique et en servant des intérêts méconnus, elle peut transformer notre rapport à l’information et à la réalité.
Plus on entre dans l’analyse des faits par l’émotion, plus on se dépossède des moyens de les décrypter. Comme l’explique très bien Anne-Cécile Robert dans La Stratégie de l’émotion, ces contenus indignants, en nous donnant à voir la part sombre de l’humanité, n’incitent pas tant à la révolte ou à l’action, qu’à l’humilité. Ils alimentent un climat anxiogène, propice davantage au repli sur soi et à l’adhésion à des logiques sécuritaires.
Dès lors, face à la prolifération de l’indignation dans nos espaces médiatiques et numériques, il est plus que jamais nécessaire de prendre du recul, de décrypter les intentions derrière ces discours, et de ne pas se laisser happer par des émotions sur lesquelles d’autres cherchent à capitaliser.
Michael Dias
Fondateur de Spitch, Voyageur, Storyteller, Speaker, Coach de Dirigeants et grand passionné de Présentations.
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