Qu’importe les opinions qui sont les vôtres sur des thématiques aussi larges que la répartition de la richesse, l’écologie, les questions de valeurs, de genre, d’identité, de communauté ou de choix de vie. Celles-ci deviennent aujourd’hui difficilement exprimables sans s’attirer les foudres de personnes ; famille, amis, collègues, qui pensent l’exact inverse de ce que vous pensez, qui sont tout aussi convaincus que vous l’êtes de penser correctement, et qui s’indignent que vous ne soyez pas capable de bien penser comme ils le font.
Pire, nous sommes parfois amenés à penser que c’est à cause de gens comme eux, que le monde va mal. Qu’ils propagent des idées néfastes pour la société, alors que dans le fond, si chacun faisait sa part, si chacun jouait son rôle, alors un monde meilleur deviendrait possible.
On est ainsi, très souvent tentés de convertir ceux qui nous entourent, à penser correctement, les éveiller au bon sens, à ce qui apparaît devant nos yeux de façon si claire et limpide.
SI cette tentation de censurer l’autre, ou de le convertir à la bonne parole, est omniprésente de nos jours, en témoignent les débats effusifs dans les chaines infos, ou sur les réseaux sociaux, sachez, que c’est totalement inutile. Vous n’y parviendrez en effet jamais ! (Et il est très peu probable, au passage, que vous ayez totalement raison sur un sujet et que l’autre soit totalement dans l’erreur…).
Tout simplement parce que ce n’est pas comme ça que cela fonctionne.
En réalité le monde ne se change pas à coup d’initiatives individuelles.
Je sais que cela peut vous paraître surprenant comme info, tant on nous rabâche au quotidien que l’on a tous un rôle à jouer dans des défis comme l’écologie ou l’inclusion… mais en réalité, en tant qu’individu seul, nous n’avons aucune influence sur les opinions, sur les mouvements, sur les grandes questions de ce monde (ni sur les petites).
Spinoza disait que les hommes se croient libres parce qu’ils sont conscients de leurs actions, mais qu’ils ignorent les causes qui les déterminent.
On croit en effet penser librement, et pouvoir agir, changer les choses, car nous sommes profondément ignorants des mécanismes qui constituent notre pensée.
Cette croyance de l’influence individuelle, par exemple, si elle est assez majoritaire de nos jours, on la tient, entre autres, d’un idéologue britannique appelé Anthony Giddens, à l’origine de ce que l’on peut appeler le libéral-socialisme (à la Tony Blair ou la Macron). Une idéologie proposant dépasser les clivages gauche droite. En gros il n’y a plus d’idéologie, ce qui nous parle forcément aujourd’hui, mais qui fait penser également et dangereusement à ces slogans de la pensée fasciste des années 30.
Giddens, est aussi un promoteur de ce qu’il appelle « the small pictures ». « The small pictures », c’est cette croyance aujourd’hui très répandue, surtout dans l’univers du développement personnel, qui consiste à croire que c’est en modifiant nos actes dans la vie quotidienne que l’on changera le monde. C’est grâce à nos initiatives du quotidien, en allant tous à vélo, en triant nos déchets, en étant bienveillants avec nos collègues, en étant tolérants envers les minorités, que nous pourrons changer le monde…
Et, cette croyance c’est aussi celle qui nous mène à penser que c’est à cause de cet ami qui ne trie pas ses déchets que la planète va exploser, ou que les opinions de notre collègue un peu limite, que l’on considère intolérantes, non inclusives, sectaires, réacs… ont une influence directe sur la propagation d’idéologies néfastes à la société. Qu’il faudrait par conséquent le faire taire au plus vite avant que celles-ci ne contaminent toute la population.
Si l’intention peut paraître louable, le souci c’est que ce n’est absolument pas comme cela que ça fonctionne, que l’on influence les autres, que l’on change des comportements ou que se constituent des opinions.
En effet, le nazisme, par exemple, n’est pas né d’un engouement populaire et spontané pour les idées fascistes, mais plutôt d’un mouvement politique structuré, soutenu par la bourgeoisie de l’époque (certains médias, intellectuels également), qui souhaitait ainsi fédérer les classes populaires autour de thématiques identitaires, pour ne pas avoir à repenser la répartition de la richesse, dans cette période post crise des années 30. Proposer une lutte des valeurs pour éviter une lutte des classes, en gros.
De la même façon, les grandes avancées sociales (fin de l’esclavagisme, sécurité sociale, droits du travail, congés payés…) n’ont pas été acquises à coup de petites initiatives individuelles qui auraient converti progressivement tout un peuple, et qui auraient fait émerger un consensus populaire. Mais à l’inverse on les tient de luttes collectives organisées, politisées, financées, diffusées largement, et même de conflits, de luttes armées avec un cout économique et humain conséquent.
Les individus ne changent pas le monde, seuls les mouvements verticaux, collectifs, organisés peuvent y parvenir.
Yuval Harari dans son livre Sapiens, l’explique assez bien.
Harari nous dit, en effet, que nos opinions, nos croyances personnelles constituent un ordre imaginaire, qui n’est pas un ordre subjectif, qui existerait uniquement dans notre tête, mais à l’inverse, celui-ci est inter subjectif. Nos opinions sont donc définies par les opinions, les croyances de ceux qui nous entourent, et qui comptent pour nous (famille, amis, collègues, intellectuels, politiciens, célébrités, influenceurs…). De façon mimétique, par association ou par opposition.
Ainsi, pour changer l’opinion de quelqu’un, il ne suffit pas d’essayer de l’illuminer de votre bon sens, mais davantage, de parvenir à changer les opinions de ceux qui inconsciemment influencent et constituent leur opinion.
Si bien que pour changer l’opinion d’une seule personne il nous faut simultanément changer la conscience de millions de gens, ce qui n’est pas facile.
Un changement d’une telle ampleur ne peut se faire qu’avec le concours d’une organisation complexe, un état, un parti politique, un syndicat, un mouvement idéologique, un lobby, un média, un réseau social, une plateforme de streaming ou un culte religieux (et souvent la combinaison de plusieurs d’entre elles).
Cela demande de l’énergie, mais surtout de l’organisation et de l’argent, beaucoup d’argent.
On peut penser que ces états, ces partis politiques, cultes religieux… sont tout autant d’individus qui ont prêché individuellement la bonne parole jusqu’à parvenir à créer comme ça, des mouvements populaires qui ont changé le monde. On peut aussi penser qu’au quotidien, on a déjà réussi à changer l’opinion d’un ami, ou de son propre mari, par exemple.
Certes, mais si vous y êtes parvenus, sachez que c’est d’une façon beaucoup moins autonome que ce que vous ne le pensez. En gros, vous n’êtes pas à l’origine même de ce changement, vous n’avez été, en réalité, que la petite main au service de mouvements idéologiques plus globaux, que vous servez sans même le savoir (et il n’y a rien de complotiste là-dedans).
En gros vous pouvez essayer de convaincre votre ami de devenir végan pour respecter les animaux par exemple, mais si vous y parvenez, c’est que vous-même, de façon inconsciente vous servez des intérêts idéologiques, politiques, économiques, médiatiques, qui vous dépassent, qui façonnent votre pensée et qui ont fini par convaincre (ne serait-ce que momentanément) votre ami lui-même exposé massivement à ce type d’idéologie.
En effet, dans cet exemple, le véganisme, n’est pas un mouvement populaire, qui se serait transmis de façon autonome, de bouche à oreille.
Si cette idéologie est parvenue jusqu’à vous, c’est déjà parce que celle-ci a été véhiculée en amont dans des médias, par des entreprises, des partis politiques, au moyen de financements massifs, avec des objectifs qui peuvent être nobles (comme le respect de la vie animale), mais sûrement pas que.
Et par ailleurs, pour comprendre l’origine du veganisme il faudrait creuser du côté de certains partis politiques, ou d’intérêts économiques privés qui peuvent avoir d’avantage intérêts à concentrer leurs efforts pour donner davantage de visibilité à cette thématique, certes importantes, mais minoritaires, et s’interroger sur le but d’une telle initiative organisée, pour comprendre quelles sont leurs réelles motivations et si celles-ci sont les mêmes que les vôtres.
Si nous ne pouvons pas changer directement l’opinion des autres, comment alors faire pour endiguer des opinions néfastes, qui semblent pourtant se propager au quotidien, dans certains médias, partis politiques ou réseaux sociaux ?
En réalité, lorsque l’on entend une opinion qui nous semble nefaste pour la société, par exemple, il y a assez peu d’intérêt à tenter de la faire taire (à moins que la personne qui la profère soit un chef de parti politique, un dirigeant influent, ou le pape…).
Tout d’abord parce que, comme évoqué, la personne qui exprime seule une telle opinion n’a pas de réelle influence sur une société au niveau macro. Cette personne ne dispose pas de pouvoir au sein d’un état, d’un parti politique ou d’un média, pour contaminer l’opinion publique à large échelle.
Ici, aucun intérêt donc à faire taire ce voisin qui vous semble intolérant, ni le ranger du côté des méchants de façon moralisatrice et manichéenne, mais la question intéressante à se poser, serait ici davantage : qu’est-ce qui a pu le rendre intolérant ? Quels mouvements idéologiques, lobbys, groupes de pensée, médias ont pu avoir intérêt à propager si massivement ce schéma de pensée, qu’il est parvenu à façonner la structure mentale de cet individu.
Quel est son vécu, également, son expérience de vie qui a pu l’amener à incarner ce type de jugement.
Ici encore, l’individu se croit libre de penser de façon intolérante car il est inconscient des forces qui le détermine. Et c’est uniquement en faisant cette généalogie de la pensée, que l’on peut commencer à penser soit même le monde, de façon un peu plus libre.
Aussi, les pensées des autres qui peuvent nous sembler intolérantes, méchantes, horribles mêmes, ne devraient pas être réprimées, et devraient à l’inverse pouvoir être exprimées, car cela permet également d’en parler, de comprendre les motivations de la personne qui les exprime.
Cela peut permettre parfois également d’identifier les souffrances, les angoisses personnelles, qui peuvent en être à l’origine de propos intolérants (et je vous renvoie à l’éloge de la fuite d’Henri Labori).
Alors qu’à l’inverse, en censurant l’opinion de l’autre, en empêchant ces souffrances sociétales de s’exprimer, on enfouit bien souvent ces ressentis, ce qui peut être dangereux. Car on l’empêche de s’exprimer, et cette inhibition on la retrouve bien souvent de nos jours plus que dans les urnes, d’une façon bien plus pernicieuse et dangereuse pour la société.
Michael Dias
Fondateur de Spitch, Voyageur, Storyteller, Speaker, Coach de Dirigeants et grand passionné de Présentations.
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