Tout le monde sait que le débat public est peuplé de lobbyistes, généralement financés par des think thanks visant à défendre sur des plateaux tv, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, une vision du monde, des intérêts de sociétés privées, ou tout simplement pour justifier le bien fondé de s’en mettre pleins les fouilles en toute impunité ;)
Si on pourrait ici en dire des tonnes sur l’impact que le lobbying a sur l’opinion publique, l’action politique et plus largement sur la démocratie, je vous propose à l’inverse, aujourd’hui de se concentrer sur la forme plutôt que sur le fond, à savoir la structure de l’argumentation qu’utilisent les lobbyistes pour débattre et convaincre de l’intérêt de leurs idées.
Un schéma argumentatif assez efficace, si vous souhaitez être persuasif à l’oral (et pour ce qui est du fond, je vous invite à lire « Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi, notamment).
L’exemple du débat entre Monique Pinçon-Charlot et Ferghane Azihari dans l’émission « Interdit d’interdire »
La semaine dernière a eu lieu un débat sur RT France entre Ferghane Azihari, analyste politique au service de nombreux « think tanks » libéraux et Monique Pinçon-Charlot ex-sociologue au CNRS.
Pour faire bref, l’objectif était de débattre sur la répartition de la richesse en France. En gros, l’un avait été invité pour défendre une vision libérale de l’économie, censée permettre l’accumulation de la richesse à une elite, puis s’auto réguler et ruisseler comme par magie vers les couches inférieures de la société.
Et l’autre, défendant une répartition plus équitable de la richesse créée et l’intervention de l’état pour permettre une répartition plus juste.
Pour cet article, j’ai donc choisi de me concentrer sur le discours du libéral Ferghane Azihari, et de décrypter pour vous les 6 étapes qui lui permettent de valoriser ses opinions et convaincre à l’oral. Une méthode qui est assez représentative de la rhétorique utilisée dans de ce type de débat.
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Trouver des points d’accord avec son adversaire
Pour réussir à convaincre comme un lobbyiste, la première étape est toujours d’essayer de trouver des points de concordance avec la personne que vous souhaitez convaincre. Un peu à l’image d’une prise de karaté, l’objectif est d’aller vers son adversaire pour pouvoir ensuite le tirer vers soi.
Ici comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous, Ferghane Azihari essayera à plusieurs reprises de proposer des arguments qui fassent consensus, pour obtenir l’acceptation de son adversaire, sur un type d’argument de base sensé être accepté par tous.
Il essayera d’y parvenir en donnant de grandes vérités générales, comme le fait que le capitalisme ait permis l’enrichissement des masses, partout dans le monde en 200 ans, par exemple.
Mais si l’on pourrait croire qu’il s’agit là simplement d’une façon de gagner un certain avantage empathique sur son adversaire, cette technique permet en réalité surtout de poser un premier jalon de ce qu’on appelle le syllogisme au sens d’Aristote (à savoir si A=B et C=B donc C=A)
En gros, voici le type de raisonnement espéré par Ferghane Azihari :
Vous êtes d’accord avec moi que les sociétés capitalistes (A) sont plus prospères (B) aujourd’hui qu’il y a 200 ans ? La concentration du capital (C)étant une caractéristique des sociétés capitalistes (A), alors, la concentration du capital est une condition nécessaire à la prospérité du plus grand nombre.
Un raisonnement très efficace et qui est à la base même de la rhétorique, très utile pour convaincre et qu’il est important de connaître pour s’en défendre également.
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Déconstruire le point de vue de son adversaire
Pour gagner un débat d’idées il est indispensable de commencer par maitriser le corpus idéologique de son adversaire.
C’est la raison pour laquelle Ferghane Azihari va s’efforcer, tout au long de ce débat, de décrédibiliser Monique Pinçon-Charlot en « décryptant » pour les téléspectateurs les principes qui soutiennent l’argumentation de son adversaire.
Et cette méthode est principalement inspirée de ce qu’on appelle le modèle de Stephan Toulmin, philosophe et logicien anglais, qui a théorisé un outil qui permet d’identifier les composants d’un argument, et révéler les fondements moraux sur lesquels s’appuient nos argumentations.
Le modèle de Toulmin est composé de 4 composants : La donnée, la conclusion, la garantie et le Fondement.
Exemple simple :
Harry est né dans les Bermudes (la donnée), vu qu’en vertu de la Loi Britannique (le Fondement), toute personne née dans les Bermudes peut adopter la nationalité Britannique (la garantie), alors, vraisemblablement, Harry est un sujet Britannique (la conclusion).
C’est pourquoi Ferghane Azihari reviendra à plusieurs reprises sur les fondements idéologiques de Pinçon-Charlot , en n’hésitant pas au passage de les décrédibiliser, les caractérisant de « Sophisme » à somme nulle, de « stratégie nouvelle » pour délégitimer le capitalisme, ou de « mythe » pour évoquer les différences de carbonisation des sociétés modernes (vs pays émergents).
En déconstruisant les fondements et garanties des idéologies de son adversaire, cela lui permet d’apparaitre comme clairvoyant face aux arguments de Pinçon Charlot, tout autant que de pouvoir par la suite juxtaposer des solutions, pouvant apparaître par contraste, plus pertinentes.
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Redéfinir les termes du débat à son avantage
Sur un débat gauche/droite classique comme celui-ci, les termes de richesse, cadeau fiscal, inégalités sont tout autant d’arguments que les adversaires peuvent s’échanger et qui pourraient mettre à mal le défenseur du libéralisme, qu’est Ferghane Azihari.
Cependant, en bon polémiste, il sait redéfinir les termes du débat à son avantage. C’est ainsi, qu’il essayera à plusieurs reprises de changer la définition des termes, changer le différentiel des chiffres proposés ou encore donner la priorité à une autre statistique lui étant plus favorable.
Didier Hallepée disait que les chiffres sont comme les gens. Si on les torture assez on peut en faire dire n’importe quoi. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de gagner un débat.
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Utiliser des comparaisons flatteuses
Les exemples et les comparaisons sont tout autant de possibilités qui n’étant pas forcément représentatives de la réalité, permettent souvent de façon didactique, de résumer une réalité et être prises pour argent comptant.
C’est ce que fera à plusieurs reprises Ferghane Azihari, en comparant la richesse de Louis XIV à la sienne ou la valeur d’une baguette de pain et sa valeur monétaire, ou encore le niveau d’inégalité économique de la société kazakh versus la société américaine, pour justifier les biens faits des disparités de richesses au sein d’un même pays, notamment.
Ces exemples flatteurs ont souvent l’apparence du bon sens, et à l’image des dictons qui expriment un enseignement sous forme de rime, servent à annuler parfois plus facilement l’esprit critique de son adversaire.
Mais à ce moment précis, c’est là qu’il est important de se souvenir d’un autre dicton populaire qui dit avec clairvoyance que « comparaison n’est pas raison ». Pensez-y !
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Utiliser des arguments d’autorité (chiffres, auteurs, citations…)
Aristote disait qu’il n’y avait que 3 façons de construire un raisonnement logique et cohérent. Le syllogisme, la définition et l’observation de la réalité.
En citant moi-même Aristote je fais appel à ce que l’on appelle “un argument d’autorité” (ici la crédibilité de l’auteur), qui sous-entend que si Aristote le dit c’est que ça doit être vrai, et qui permet par conséquent de soutenir mon argumentation.
En ce sens, lorsque Ferghane Azihari cite des auteurs, ou fait référence à des statistiques il essaye de convaincre grâce à des arguments d’autorité, avec des preuves sensées définir et décrire une réalité qu’il assène comme pertinente, juste et incontestable par son adversaire.
Cependant l’argument d’autorité n’est pas si incontestable que cela et peut comporter des travers fallacieux. Citer Adam Smith ce n’est pas la même chose que de citer Bourdieu, citer une étude financée par un lobby libéral ce n’est pas la même chose que de citer une publication de l’Oxfam.
Les chiffres et les auteurs choisis ne le sont généralement jamais de façon anodine, et si on cite des auteurs libéraux par exemple on crédibilise un point de vue tout autant que l’on dénonce un choix idéologique.
C’est ainsi, que pour convaincre, il est important d’avoir recours à des citations, à des chiffres qui décrivent la réalité de façon la plus authentique possible et en raccord avec l’argumentation que vous exposez.
Et à l’inverse, il est tout aussi important d’être capable de comprendre le bienfondé des études, du sérieux des auteurs ou des fondements idéologiques sous-jacents pour pouvoir défendre votre point de vue et contrer les arguments d’autorité de vos adversaires.
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Donner son explication du monde, tel qu’on le défend
Après avoir trouvé des points d’accord avec son adversaire, déconstruit le point de vue de son adversaire, redéfini les termes du débat à son avantage, utilisé des comparaisons flatteuses et avoir eu recours à des arguments d’autorité, pour convaincre, il est enfin venu le temps de démontrer son idéologie, décrire sa solution, apporter sa lecture du monde tel qu’on le conçoit.
C’est donc ce que fait Ferghane Azihari, en parlant de l’importance de la liberté d’entreprendre, du droit de propriété, du besoin de récompenser l’entrepreneuriat et des bienfaits de l’incitation à la concentration de la richesse.
Il s’agit là d’une argumentation très efficace, très ronde tant elle s’efforce de démontrer de bout en bout le bien-fondé de son analyse.
C’est sa vision de ce qui doit être fait pour que notre société soit plus prospère, cependant, cela n’en reste pas moins discutable.
En tant qu’adversaire il est donc, indispensable de développer son esprit critique pour pouvoir contrer ce type de démonstration dialectique, et essayer de convaincre à son tour de bien fondé de vos idées. Et en ce sens, savoir maitriser les 5 points précédents peut vous être très utile pour y parvenir.
Michael Dias
Fondateur de Spitch, Voyageur, Storyteller, Speaker, Coach de Dirigeants et grand passionné de Présentations.
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