Si vous nous suivez sur le blog ou si vous avez déjà participé à l’une de nos formations, vous savez à quel point nous sommes convaincus que pour devenir un bon orateur il ne suffit pas de bien parler, d’être juste éloquent face à un public, comme un acteur qui débiterait un texte d’auteur. Mais qu’à l’inverse, nous pensons qu’un bon orateur est aussi une tête pensante, un entrepreneur, un promoteur d’idées, quelqu’un qui doit être capable de comprendre le monde, pour pouvoir l’expliquer et proposer des solutions qui soient réellement adaptées à son public.
Et pour devenir ce type d’orateur, la culture générale, mais surtout ce que l’on est capable d’en faire, c’est à dire, la capacité de réflexion et d’analyse qui est la vôtre reste déterminante.
Au-delà de connaître vos produits, solutions, services, au-delà d’être expert dans votre domaine, il vous faut être aussi capable de comprendre les idéologies et les rapports de forces qui façonnent notre époque, notre façon de penser et nos désirs. Pour pouvoir ensuite parvenir à s’en détacher, ne pas en être esclave et se créer une liberté, au moment de construire chacun de vos discours.
Comprendre les idéologies, les forces, les causes qui nous déterminent, comme disait Spinoza, c’est le travail d’une vie, tant elles façonnent ce que nous sommes.
Pour ce faire, il est important de commencer par être capable d’identifier les principales forces politiques, économiques, les idéologies défendues par chacune ces forces. Il existe également des ouvrages qui tout au long des siècles ont dénoncé les dérives de certaines idéologies, et qu’il est important d’avoir lu.
C’est par exemple le cas du chef d’œuvre de Flaubert, Madame Bovary, qui sous ses airs d’épreuve du bac de français, renferme en réalité l’une des meilleures pistes de compréhension de notre temps.
Pour résumer rapidement l’ouvrage, écrit en 1857, Madame Bovary est l’histoire d’une Fille d’un riche fermier, Emma Rouault qui épouse un médecin de campagne, Charles Bovary.
Élevée dans un couvent, Emma aspire à vivre dans le monde idéal, romantique, dont parlent les romans à l’eau de rose qu’elle y a lus, mais le décalage qu’elle découvre à chaque fois, avec sa propre vie déclenche chez elle une sorte de maladie nerveuse.
Tiraillée entre sa vie d’épouse, de mère et ses désirs d’un amour inaccessible, intense, passionnel et romantique, Emma délaisse son mari et sa fille pour céder aux avances d’un premier amant, Rodolphe. Elle souhaite s’enfuir avec cet amant, pour vivre le grand amour, mais celui-ci fini par l’abandonner ; Emma croit en mourir, traverse d’abord une crise de mysticisme, avant de se laisser à nouveau guider par son désir d’amour passionnel, envers de nouveaux amants. Installée dans ses liaisons amoureuses, Emma Bovary invente des mensonges pour revoir ces hommes, et dépense des sommes importantes pour leur plaire. Endettée, délaissée à chaque fois par ses amants, celle-ci finit par s’empoisonner à l’arsenic dérobé chez son pharmacien, par peur que la vérité éclate au grand jour.
A la suite de son suicide, son mari Charles, décède d’une mort subite, et sa fille sera placée puis exploitée dans une plantation de coton.
Fin du livre !
Au-delà du roman, cet ouvrage est en réalité, et surtout une critique caustique au romantisme de son époque, au fait de croire que la poursuite du désir mène toujours au bonheur. Et Flaubert donne ici, avec Madame Bovary une suite plus tragique à ce type de narrative romantique, ce qui est très révolutionnaire pour son époque, tout comme pour la nôtre, en réalité.
Car Emma Bovary est tiraillée par des idéologies qui façonnent toujours notre génération et d’une façon aujourd’hui encore plus exacerbée qu’au 19e siècle.
Idéalisme :
Tout d’abord car l’héroïne est dans son essence une idéaliste. Un idéalisme du ciel des idées, en tout point platonicien. Pour elle, il s’agit d’une idéalisation de l’idée qu’elle se fait de l’amour, qui selon elle doit toujours être intense, passionnel, éternel, et qui la pousse à désirer, projeter cet idéal dans chacune de ses relations. Et c’est le contraste entre cet idéal et la réalité qu’elle découvre, et qui la fait souffrir à chaque fois.
Cet idéalisme est aujourd’hui au centre de nos sociétés. Parmi les différents idéaux qui formatent notre imaginaire, on retrouve notamment l’idéalisme esthétique, de la mode, du corps parfait, de l’argent, de l’amour, du lifestyle que l’on nous fait miroiter au quotidien sur les réseaux sociaux, l’actu ou la narrative des séries netflix. Ces idéaux qui sont sensés nous faire accéder au bonheur, déçoivent en réalité toujours, tant il n’y a pas plus tyrannique qu’un idéal.
Les idéaux servent certes à élever l’être humain, lui donner une direction, un chemin à suivre. Mais notre rôle est toujours de s’efforcer à analyser si la poursuite de cet idéal nous est bénéfique ou si à l’inverse celui-ci nous fait souffrir.
Être capable de l’identifier, de comprendre les effets néfastes de cet idéalisme qui caractérise notre temps, pourvoir s’en détacher, c’est une étape indispensable pour pouvoir apprendre à penser librement, et en tant qu’orateur pouvoir éclairer ceux qui vous écoutent.
Désir de l’inaccessible :
Emma Bovary est également éprise d’un désir de l’inaccessible. En multipliant les relations et les conquêtes, celle-ci court vers les bras de chaque nouvel amant par défi, par volonté de conquérir l’inaccessible, convaincue qu’elle est, que cette inaccessibilité témoignerait forcement de la valeur, de l’intensité de ces nouveaux amours, si celle-ci parvenait à les conquérir. Et ce toujours en vain.
Ce désir de l’inaccessible, est aussi platonicien, c’est la définition de l’amour par platon, que l’on appelle Eros, soit, le désir de posséder ce que l’on ne possède pas.
Et cet Eros c’est le consumérisme à l’état brut. C’est l’une des principales idéologies qui coexistent dans nos sociétés. C’est le moteur de nos économies, c’est sur cette base qu’est calculé notre PIB, que sont censés être crées de nouveaux jobs. Désirer ce que l’on ne possède pas, pouvoir y accéder en dépensant, en s’endettant, c’est tout ce que nous sommes devenus.
Ce désir de l’inaccessible, si on le retrouve partout dans nos sociétés, il n’existe néanmoins aucune loi scientifique universelle qui dicte que cette poursuite de l’inaccessible apporte du bonheur à l’être humain, et en réalité c’est même aux antipodes de la sagesse au sens d’Aristote ou d’Épicure, qui nous invitaient davantage à nous satisfaire de ce que l’on possède et à rechercher le bonheur dans l’absence de souffrances.
Ce désir de l’inaccessible, est également ce qui est à l’origine de nombreuses maladies de notre temps, comme la dépression, les troubles de la personnalité, l’hyper activité et les burn-out, comme l’explique très bien Byung- Chul Han dans son livre « la société de la fatigue ».
Que l’on soit ou non, par notre job, partie prenante de ce consumérisme, il faut être capable de le comprendre, d’identifier les rapports de forces. A qui il bénéficie, en quelles proportions, quelles sont ses limites et quelles sont les pistes pour un monde plus équitable.
Tout autant de questions qu’un bon orateur doit se savoir poser.
Romantisme :
Enfin, Madame Bovary est aussi et surtout une critique du romantisme. Cette idéologie qui pousse l’héroïne à vouloir suivre aveuglement ses désirs, avec l’intime conviction que ceux-ci la mèneront au bonheur.
Et le romantisme, avec le consumérisme, est l’autre des grandes idéologies de notre temps, comme l’explique très bien Yuval Harari dans son célèbre ouvrage Sapiens.
Selon Harari, le romantisme nous dit que, pour tirer le meilleur parti de notre potentiel humain, il nous faut toujours suivre nos désirs, multiplier les expériences ; personnelles, professionnelles, amoureuses, sexuelles. Nous devons nous ouvrir à un large spectre d’émotions, expérimenter diverses sortes de relations, explorer toutes ses pulsions et ses désirs, acquérir de nouvelles compétences, multiplier les relations, ne pas se contenter de ce que l’on a et s’ouvrir sans cesse à de nouveaux horizons. Avec la conviction implicite, que cela nous guidera toujours vers plus de satisfaction et de bonheur.
Ce romantisme, on le retrouve aujourd’hui partout sous diverses formes, dans la communication des marques, la fiction, la musique, l’éducation, la propagande politique, l’organisation de la société, etc…
Or, cette vision romantique, de suivre ses désirs et multiplier les expériences, ne va pas de soi non plus.
Il n’y a aucune preuve scientifique qui dicte que la multiplication des expériences soit plus à même d’augmenter la satisfaction, le bonheur personnel ou la santé mentale.
Et dans bien des cas, c’est même l’inverse. Suivre le désir de façon aveugle et bestiale, peut nous mener à des expériences nocives, toxiques, et décorrélées des aspirations naturelles d’un être humain, et c’est aussi ce qui est à l’origine du sentiment croissant d’isolement et de solitude, qui caractérise nos sociétés.
Et en tant qu’orateur, une fois de plus, il est important d’identifier cette idéologie, dans les éléments de communication qui peuvent être les vôtres, pour pouvoir ensuite construire chacun de vos discours de façon consciente, sans accabler son public, ni le pousser à désirer ce qui pourrait le desservir.
Être un orateur conscient et responsable, c’est l’objectif qui doit être le vôtre, et c’est notre mission, en tant que formateurs en Storytelling et Prise de Parole en public, chez Spitch, au quotidien.
Michael Dias
Fondateur de Spitch, Voyageur, Storyteller, Speaker, Coach de Dirigeants et grand passionné de Présentations.
Retrouvez-moi sur Linkedin