Le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer a récemment présenté son projet de réforme du baccalauréat, avec pour principale nouveauté l’arrivée d’un “grand oral”, surnommé « oral de maturité ».

Cette nouvelle épreuve, d’une durée de 20 minutes à présenter devant un jury de trois personnes, signale une volonté du ministère de l’éducation de redonner ses « lettres de noblesse » à la prise de parole en public, et d’en faire ainsi une compétence prioritaire à évaluer à la sortie du lycée.

 

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Si en tant que spécialiste de la discipline, je ne peux qu’applaudir cette prise de position de Jean-Michel Blanquer, et que savoir s’exprimer à l’oral est en effet une compétence essentielle dans un parcours professionnel, le souci comme souvent avec les bonnes intentions, c’est qu’elles cachent parfois des stigmatisations qui ne disent pas leur nom.

Car en effet, l’aisance à l’oral n’est pas une compétence des plus banale. Apprendre à parler c’est apprendre à penser, et toutes les classes sociales ne sont pas à égalité lorsqu’il s’agit d’exprimer une idée à l’oral, ce qui risque bien de porter un coup de plus à l’égalité des chances dans l’école de la république.

Si l’apprentissage du français pose aujourd’hui problème dans les classes populaires, il va donc sans dire, que l’expression orale est d’autant plus problématique lorsque l’on possède déjà des lacunes dans la construction écrite d’un discours.

Car pour savoir s’exprimer à l’oral, réussir à informer, intéresser et convaincre, il faut apprendre à se présenter, poser une problématique, énoncer un plan, faire savoir lorsque l’on est dans une partie, savoir construire un paragraphe, puis passer d’un paragraphe à l’autre… toute une série de choses qui aujourd’hui font gravement défaut dans l’enseignement en France, comme le démontrait très bien récemment Michel Onfray dans une de ses analyses.

Si l’on veut que l’oral soit un marqueur social, comme le dit le ministre, et que nos jeunes sachent s’exprimer à l’oral de façon efficace, il faut donc être capable de rendre possible l’enseignement de la prise de parole en public, avec des professeurs spécialistes de la rhétorique comme on le faisait dans le passé, et pas seulement son évaluation.

Que l’on y apprenne la rhétorique d’Aristote, l’art oratoire de Quintilien. Que l’on se réserve des cours de structure du discours, mais également d’expression scénique (savoir se tenir, respirer, gérer le stress, s’exprimer avec son corps et regarder le public dans les yeux…).

Car l’aisance à l’oral n’est pas une compétence inée, mais qui s’apprend et face à laquelle on n’est pas égaux. Et dans ce sens, si l’oral doit prendre sa place dans le dispositif nouveau du baccalauréat, il est indispensable de préparer les élèves de façon à compenser les différences de niveaux entre les jeunes plus défavorisés et ceux des milieux où on parle correctement le français, où l’on y a appris le goût de la lecture, du verbe et de la joute verbale.

Pour ne pas que cette mesure, au bon sens apparent, ne se transforme comme souvent dans la politique de nos gouvernants successifs, en un élément de plus du déterminisme social que l’on souhaite nous imposer.